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Album

De la confidence aux récits

Carnet de l’intervenant

Le carnet de l’intervenant permet de se familiariser avec les pensées qui ont animé les concepteurs d’Album. Il reprend la finalité du projet, ainsi que les intentions et objectifs de celles et ceux qui en sont à l’origine. Ce carnet offre également des pistes pour travailler les supports, étoffées par des témoignages liés aux premiers retours d’expérience.

Introduction

Ce carnet est destiné aux intervenants sociaux, psychologues, éducateurs, assistants sociaux et autres professionnels amenés à accompagner des jeunes et des adultes dont la relation s’est complexifiée suite à un engagement dans l’idéologie djihadiste. Ce carnet est le mode d’emploi d’Album tant d’un point de vue méthodologique qu’éthique. Album s’inscrit dans le contexte du retour des ressortissants avec leurs enfants de Syrie des camps de Al Hol, Ayn Issa, etc. et de l’éloignement qui en découle si leurs parents sont incarcérés lors de leur retour en Belgique. Il peut dans une vision plus large s’adresser à l’ensemble des familles dont un des leurs est détenu ou qui a connu un engagement dans l’idéologie djihadiste.

Album se compose de différents supports centrés sur la transmission de l’histoire familiale et sociale et interroge le lien et la relation qui unissent le jeune et le parent. Travailler ces dimensions devrait favoriser la mise en mots dont ceux liés aux secrets, non-dits, malentendus qu’ont provoqué la séparation liée à l’engagement d’un des leurs dans l’idéologie djihadiste, que ceux- ci soient toujours en territoire syrien ou irakien, incarcérés ou décédés.

Album est un objet tiers qui favorise la transmission de l’histoire familiale et sociale. Il questionne, encourage et soutient le jeune et l’adulte à effectuer un travail d’historicité afin de mobiliser leurs ressources et développer leur capacité à intervenir sur leur propre histoire de vie afin d’en influencer le cours. Il peut être un complément à un accompagnement psychothérapeutique mais ne peut en rien se substituer à celui-ci. En fonction de ses compétences professionnelles, théoriques et cliniques, l’intervenant veillera à aménager les supports et à prendre connaissance de ceux-ci avant la passation, afin de ne pas se laisser déborder lors de leur mise au travail.

Les supports permettent de s’exprimer par différents moyens artistiques tels que le dessin, le collage ou encore l’écriture. L’intervenant peut aussi retranscrire la parole. Il suggère un média adapté avec lequel le jeune ou l‘adulte se sent à l’aise. Le travail des supports est à envisager dans une optique de partage.

Album est comme un album de vie qui peut être similaire à un album photo retraçant le parcours familial depuis l’enfance. Pour se construire une identité, il est important d’avoir les bases d’un récit. Tout ne sera pas dit et ne doit pas l’être. L’objectif est de combler le vide que l’absence de mots entretient, et encourager le jeune et l’adulte par l’énonciation de quelques bribes pour étayer et bâtir leur histoire.

À noter que le mot parent est à entendre au sens large (mère, père, oncle, tante, grands-parents, nièce, tuteurs légaux, un proche, etc.).

Il se peut que l’adulte conserve des propos radicaux violents ou aille trop loin dans le partage idéologique de ses croyances. Notre expérience témoigne qu’en remobilisant les ressources parents/ enfants un décalage peut parfois s’opérer. L’intervenant peut recourir à un point de recadrage via la parentalité. Celui-ci peut parfois être suffisant pour ouvrir le récit et effectuer la mise à dis- tance nécessaire à une transmission plus sereine qui permettra à l’histoire de se raconter et de se poursuivre. Le rôle de l’inter- venant est de sentir grâce à son expérience le petit pas de coté à amorcer lorsque le discours idéologique va trop loin ou lorsque les propos ne sont pas adaptés à l’âge du jeune.


Finalité

Album, de la confidence aux récits propose un travail d’historicité aux jeunes et aux adultes à l’aide de l’accompagnement d’un tiers.


Objectifs

Sa principale fonction est de favoriser une activité réflexive et expressive autour du récit familial chez le jeune et son parent, en compagnie d’un tiers.

Intentions

Permettre au jeune et à son parent:

  • de re(créer) un lien et une relation sereine;
  • de transmettre l’histoire familiale et sociale;
  • de contrecarrer les effets des mensonges, des non-dits et des secrets liés notamment à la séparation;
  • de prendre de la distance par rapport à la situation, de lui donner un sens, d’envisager l’avenir de manière plus confiante en prenant appui, lorsque cela s’avère possible, sur les expériences du passé et sur leurs ressources actuelles;
  • de s’approprier leur histoire, d’y prendre pied en tant que sujet.


Historique

En 2014, Isabelle Seret, intervenante en sociologie clinique et formée en victimologie appliquée, initie le projet « Rien à faire, rien à perdre » (1), un dispositif d’accompagnement avec des jeunes engagés dans l’idéologie djihadiste mais aussi avec des familles concernées pour co-créer au départ de leur vécu un support pédagogique à des fins d’animation participative. Ces supports sont des capsules vidéo qui retracent, pour les jeunes, les différentes étapes du processus d’engagement et pour les membres des familles, ce qu’ils ont traversé en terme de honte, culpabilité, sentiment de solitude, perte de confiance dans leur capacité éducationnelle, etc. Elle travaille en lien avec S.A.V.E. Belgium dont la fondatrice Saliha Ben Ali se charge des animations en milieu scolaire, associatif et dans les institutions publiques de protection de la jeunesse. Vincent de Gaulejac, sociologue, professeur émérite de l’université Paris-Diderot, rejoint Isabelle Seret en 2016. Ensemble, ils animent des groupes de recherche et d’implication en sociologie clinique avec des professionnels en difficulté avec le phénomène dit de radicalisation violente mais aussi avec les familles dont un sur la honte. Ils publient le fruit de cette re- cherche action en 2019 aux éditions Odile Jacob: « Mon enfant se radicalise. Des familles de djihadistes et de jeunes témoignent ». Ils s’engagent aussi en 2018 dans un projet , qui vise à mener des actions restauratrices intitulé « Retissons du lien. Penser ensemble pour agir en commun » (2) composé de familles concernées par l’engagement d’un des leurs dans l’idéologie djihadiste, de personnes endeuillées et rescapées des attentats de Paris et de Bruxelles et d’intervenants de première ligne c’est-à-dire des professionnels confrontés directement au phénomène dit de radicalisation violente. L’objectif est de poser une réflexion sur ce qui NOUS est arrivé tout en souhaitant transformer la violence destructrice en énergie créatrice avec l’intention de désamorcer certains discours sécuritaires qui fragmentent la société en opposant un eux et nous. Durant ces années, Isabelle rencontre de nombreux professionnels qui visent à la prévention de la radicalisation qui mène à la violence dont Élodie Druart et Naïm Errahmouni. Élodie est psychologue clinicienne. Elle travaille notamment sur le lien enfants-parents incarcérés pour des faits de terrorisme/ radicalisme et se spécialise sur la thématique au sein du CAPREV (Centre d’Aide et de Prise en charge des personnes concernées par les Radicalismes et Extrémismes Violents). Naïm Errahmou- ni est travailleur social au sein du service d’aide aux justiciables de la commune de Schaerbeek, RePR (Réseau de Prévention à la Récidive). Il travaille depuis une vingtaine d’années en prison. Historien de formation avec un intérêt pour les cultures méditeerranéennes, formé en santé mentale et maitrisant l’arabe, son sujet d’intérêt est « L’Islam en prison et les jeunes ». Aux côtés de Vin- cent de Gaulejac, ils animent en septembre 2019 un dispositif qui vise à soutenir la transmission au sein des familles susceptibles d’accueillir un ou plusieurs enfants et petits-enfants de Syrie. Ils accueillent la densité de la souffrance, les craintes et la honte qui persistent. Face à la douleur des familles et aux inquiétudes quant à leurs proches – Tout me ramène là-bas, je vis la guerre, je suis prisonnière avec ma fille là-bas. Si le soleil est là, je pense à eux qui ont trop chaud. Je vis la même chose – penser transmission n’est pas à l’ordre du jour. Riches de leurs parcours respectifs, ils décident de créer un support favorisant la transmission: Album, de la confidence au récit. Les supports présentés sont émaillés de dires des familles ou des jeunes que nous avons rencontré durant ces années. Ils ont pour objet d’éveiller l’attention et de préparer l’intervenant à l’utilisation des supports.


Cadre de travail

Il s’agit de construire un espace dans lequel le réflexif et les ressentis peuvent s’exprimer, s’articuler et s’analyser. Établir un tel cadre est porteur de sens et va permettre aux jeunes et aux parents de s’engager. Il nous semble qu’à minima le cadre nécessaire à l’utilisation de l’Album doit inclure les points suivants :

Règle d’intentionnalité : Que fait-on ensemble ?

L’intervenant, le jeune et son parent s’engagent à explorer les différents supports par le biais de divers modes d’expression: collage, dessin, narration, etc. À ce titre, l’intervenant est garant du cadre proposé. Il s’agit d’offrir un espace de co-construction de sens qui nécessite une relation interpersonnelle. Ce n’est pas un journal intime. L’intervenant contribue à la construction de sens en soutenant le jeune et/ou son parent à réintroduire de la pensée autour de l’image de soi et à réintroduire de la dimension affective et émotionnelle autour des événements de la vie du jeune et de l’adulte. Album permet un processus de distanciation. Le jeune et l’adulte parlent de leur support et non d’eux. Album permet d’inscrire ce travail dans le temps, laisser l’empreinte d’un accompagnement, la trace et la mémoire d’un lien et d’engager une prise de risque relationnelle dans le continuum temporel non interrompu par l’évènementiel.

Règles communes : Comment le fait-on ?

Implication et volontariat
Album s’inscrit dans une démarche volontaire. Le jeune et l’adulte sont libres de la gestion de leur implication. Ils décident de ce qu’ils vont dire ou non à propos de leur histoire, de leurs écrits et de leurs supports et ce, dans le respect du rythme de chacun y compris au niveau émotionnel.
Confidentialité et discrétion
Ce qui se dit entre l’intervenant, le jeune et l’adulte est confidentiel. Il y a de la part de l’intervenant le devoir de faire acte de discrétion par rapport aux éléments biographiques que le jeune et/ ou son parent auraient déposés dans le cadre précis de l’Album. Il informe cependant les participants de l’éventualité de lever le secret professionnel si des propos menaçants ou de passage à l’acte sont évoqués ou s’il sent le jeune en danger ou capable de mettre autrui en danger.

Interaction
L’intervenant par ses interventions verbales et non-verbales au travers d’une relation structurante et bienveillante, interpelle, soutient et favorise un climat où le jeu et le plaisir peuvent être de mises.
L’intervenant se place lors des rencontres, à côté du jeune et/ ou de l’adulte pour installer une proximité bienveillante et éviter toute allusion à un entretien plus formel.
Le jeune et l’adulte sont et restent le pilote de leur histoire et dans l’esprit d’un accompagnement respectueux des défenses, l’inter- venant par un travail de reformulation accompagne le jeune et/ou l’adulte à mettre de l’ordre dans leurs affaires. Le jeune et l’adulte réagissent avec subjectivité au thème proposé dans l’Album ; dans ce sens, il n’y a pas de bonnes et mauvaises réponses.

Ecoute bienveillante
L’écoute est respectueuse et les modes d’intervention évitent tout jugement de valeurs, interprétations abusives ou projections. L’intervenant propose son regard et vise à explorer le thème travaillé dans l’Album, que ce soit par un collage, un écrit ou la narration d’un évènement, afin de favoriser la réflexivité par rapport à l’histoire de vie du jeune et/ou de l’adulte.

Propriété des productions
Album peut être gardé dans un premier temps par l’accompagnant au sein de son service afin d’éviter la perte et de permettre la confidentialité. Mais les supports sont la propriété du jeune et de l’adulte. Ce travail est déposé à la SCAM. Il ne peut-être dupliqué sans l’accord des auteur(e)s.

Modalités d’utilisation

Album est en deux parties. La première en vert s’adresse aux adultes, la seconde en bleu aux jeunes. Il est conçu pour un travail individuel avec le jeune ou avec le parent ou avec le jeune accompagné de son parent. Les supports conçus pour les adultes sont assez similaires à ceux des jeunes afin qu’ils puissent, s’ils le souhaitent, mutualiser leur production. L’objet farde permet d’extraire le support de travail et offre la possibilité d’ensuite le repositionner dans le classeur. Maintenir l’ensemble des supports dans la farde est structurant et favorisera une vision globale du travail effectué.

L’intervenant choisit, en fonction de la situation concrète des rencontres et de l’expression des besoins exprimés par le jeune et l’adulte, de travailler :

> Uniquement avec le jeune;
> Uniquement avec l’adulte;
> Avec le jeune et l’adulte : Dans un premier temps, le jeune et l’adulte travaillent séparément. L’intervenant les accompagne lors du partage de leur production;
> Avec le jeune et l’adulte. L’intervenant suggère un support que le jeune et le parent travaillent conjointement.
Dans la mesure du possible, nous préconisons les deux dernières options.

Pour l’intervenant, tous les cas de figures sont possibles : travail en individuel, en co-construction, en parallèle afin d’accompagner pertinemment le jeune et son parent.


Notre pratique de l’album

L’intervenant propose uniquement un support par rencontre afin d’accorder le temps nécessaire à la réalisation de chacun d’eux. Il n’est pas nécessaire de travailler Album dans l’ordre proposé. C’est à l’intervenant, au jeune et/ou à l’adulte de saisir le support en lien avec la conversation de la rencontre. Il est important également de s’autoriser à revenir sur certains supports et de permettre au jeune et à l’adulte d’en reparler et/ou de refaire certains supports. Il nous semble important de dater la réalisation du support pour ne pas figer le travail et le laisser évoluer mais aussi pour marquer le temps et mesurer les changements qui peuvent s’opérer.

La page verso du support permet au jeune, à l’adulte et/ou à l’intervenant de réagir ou d’acter le travail effectué. Elle a aussi pour objectif de permettre au jeune et à l’adulte d’identifier leurs émotions, de les prendre en compte, de se respecter, de se faire du bien. Ces pages sont un indicateur du travail fourni, du changement de regard acquis au cours du travail effectué. Au besoin d’autres pages volantes peuvent être utilisées pour compléter le travail, même si l’idéal est que l’Album serve de contenant. Des fardes chemises peuvent être ajoutées pour y glisser les feuilles volantes.
Pour certains supports, il est nécessaire de mettre à la dis- position du jeune et de l’adulte plusieurs revues pour qu’ils puissent y découper des images, et du matériel comme paires de ciseaux, colles, crayons, etc. L’intervenant veille à adapter le support en fonction des conditions concrètes de la rencontre mais aussi de l’âge. Par exemple, s’adapter en milieu carcéral aux objets autorisés et aux temps de rencontre ou pour les enfants en bas âge ou pour ceux qui ne maitrisent pas l’écriture prévoir d‘utiliser des gommettes, des auto-collants, des smileys, etc.

Si un jeune ou un adulte est hermétique au travail par le dessin, les supports peuvent être adaptés. L’intervenant peut recourir au collage, à l’écriture, la narration, etc. L‘intervenant peut aussi être amené à avoir une participation active dans la réalisation du carnet. Il peut découper, coller, écrire, dessiner en fonction de ce qui se dit. Les supports sont des embrayeurs pour favoriser la mise en mots. Il est nécessaire que le jeune et l’adulte, tout comme l’intervenant, se sentent à l‘aise avec le support proposé. À l’intervenant d’être créa- tif dans le panel des supports mis à disposition du jeune et de l’adulte et dans les modes d’expression qui visent à leur réalisation. Si un support inconforte un intervenant, il peut être éludé.

Ce carnet est destiné à des jeunes à partir de 4/5 ans et à des adultes. Pour les enfants en bas âge, il sera nécessaire d’adapter les modes de réalisation des supports et de soutenir l’enfant dans ce travail. Pour un travail entre deux adultes, il faudra veiller à adapter les consignes des sup- ports de la partie verte et au besoin les photocopier afin que chacun d’eux en dispose.


Petite note sur le trauma

« Tout comme le mentionne le rapport de Gerrit Loots (3), la situation actuelle dans les camps syriens se dégrade, notamment sur le plan sanitaire et psychologique. Le stress et les conditions de vie ont un impact néfaste sur l’apprentissage de la langue, du développement cognitif mais également sur les tâches éducatives et créatives. De nombreux enfants ne semblent pas connaître le matériel artistique et créatif tels que la peinture et le crayonnage. Pour l’intervenant travaillant avec ces enfants de retour en Belgique, il est important de prendre en compte cet aspect du développement lié aux conditions concrètes de leur existence mais aussi aux traumatismes potentiels issus de ces conditions de vie. Nous attirons aussi l’attention sur le risque transculturel, notion développée par Marie Rose Moro (4) qui fait part de la difficulté des enfants à naitre et à grandir en terre d’exil. Bien que citoyens belges, ces enfants déracinés se nourrissent de la culture et des manières d’être de la terre qui les a vu naitre ou grandir. Bien contenu, ce risque transculturel peut devenir un processus dynamique et créateur. Ces vécus traumatiques ne sont en effet pas irréversibles. Les relations sociales, telle que la famille, permettront d’aider la personne fragilisée à remobiliser ses ressources et ses capacités. L’intervenant veillera à la qualité de la relation, telle que l’intensité relationnelle, essentielle pour la personne ayant vécu un traumatisme. Elle fera office de soutien émotionnel qui permet d’apporter de l’amour, de la protection et de la réassurance et de soutien d’estime qui permet de valoriser la personne dans ses compétences et ses valeurs. La parole et le discours sont essentiels pour restaurer une part d’humanité. Comme le dit Vicky Vanborre (5), « on ne peut parler que lorsqu’on a un lieu sûr où livrer cette parole ». Grâce à la relation à l’autre, la personne pourra se remettre à penser et ainsi mettre du sens sur des vécus, des images et des émotions. Pour Vincent de Gaulejac, le talent du clinicien réside notamment dans la pertinence de ses interventions, dans ses connaissances théoriques, dans ses capacités de comprendre les situations et dans ses capacités à poser un cadre. Ce sont en somme les conditions d’une implication réfléchie qui vise à produire de la connaissance. Et produire de la connaissance avec les acteurs, c’est agir et c’est les transformer. Car peut-être les sujets trouvent-ils là le terreau pour « renouer les fils d’une histoire brutalement inter- rompue, d’un avant et un après qui soit supportable et viable, sans espérer pour autant entrer dans une vie qui ne com-  » porterait plus de hasard, de catastrophe ou de désespoir » (6).

Si l’objectif premier du carnet est de favoriser la transmission, nous sommes bien conscients que tout ne doit pas être partagé. Nous rejoignons les propos d’Elisabetta Dozio pour qui la narration n’est pas toujours la meilleure des stratégies à adopter pour protéger les enfants d’une histoire traumatique. Selon l’âge, il est important de trouver des mots qui racontent sans faire violence ni heurter la sensibilité du jeune. Il est préférable de se tourner vers un style de communication dans l’ici et maintenant et sur la manière dont l’histoire sera racontée, plutôt que sur le contenu exact des faits. Une mère confrontée à l’engagement de son enfant souligne qu’en racontant son histoire, elle pensait beaucoup aux siens: « Ça me fait un schéma pour leur raconter ». Le travail autour des récits de vie peut servir de point d’ancrage à la prise de repères au sein de la famille.

Quant à ce qui se transmet de l’histoire personnelle, familiale et sociale, l’intervenant sera souvent sollicité pour accompagner le parent ou le jeune dans ce qui est partageable ou ne l’est pas. Pour rappel, le partage se fait uniquement au départ de ce qui a émergé lors du travail des supports. Le bien-être du jeune et de l‘adulte servira de balise. Mais ce n’est en aucun cas à l’intervenant de décider ce qu’il va dire sur le récit. Il n’a pas sa place dans la transmission. Il est un média tiers. Il s’appuie sur le support et les dires. L’intervenant adopte une attitude bienveillante, d’empathie et d’écoute. Ces attitudes aident à sortir du silence en offrant un espace de parole mais également la possibilité de se taire. Aux questionnements de l’adulte ou du jeune sur leur histoire de vie, l’intervenant suggérera de renvoyer à des parents ou à des proches leurs interrogations. Par exemple, si un jeune se pose la question de savoir où se trouve son père : – Est-il en prison? – Une réponse à apporter est: Qu’est-ce que tu en penses? Qu’as-tu entendu à son sujet? En as-tu déjà parlé avec lui ? Voudrais-tu lui poser la question ?

Elisabetta Dozio (7) précise qu’il est important de se rendre compte que selon les cultures, la communication du vécu sera bien différente. En effet, les mots et les silences sont investis différemment, ce qui rend les interdits parfois difficiles à venir se dire. La narration dans ses limites va permettre aux mots de se transmettre d’une génération à l’autre.
Nous avons nourri le carnet de l’intervenant de nos expériences professionnelles afin de les soutenir face à de possibles réactions ou réponses. Les dires sont soit re- transcrits littéralement ou sont liés à nos souvenirs suivant que nous ayons rencontré les personnes au sein d’un groupe, à domicile ou au sein du milieu carcéral qui ne tolère pas les enregistrements. Ceux dont les prénoms sont cités – Marie, Nabila, Aziz, Rayan, Kenza, Éric, Tia – proviennent des récits de vie du projet « Rien à faire, rien à perdre »: extremismes-violents@cfwb.be

Un dernier point pratique, il nous semble important de laisser quelques feuilles vierges dans le carnet pour les surplus d’expression. Il nous semble aussi utile d’y ajouter quelques chemises en plastique pour y glisser certains découpages, des photographies, la ribambelle, etc. mais aussi une carte du monde (Support 6: Parcours de vie et lieux habités). Une feuille avec les émotions de joie, tristesse, colère, peur, dé- goût, surprise, honte, culpabilité, etc. est disponible pour accompagner le jeune et l’adulte dans l’identification des émotions ressenties. Nous tenons aussi à attirer l’attention sur le fait qu’il est préférable de ne pas faire des photocopies en recto verso. Le papier fin de l’impression ne permettra pas l’utilisation des marqueurs, crayons, bics nécessaires à l’expression du jeune et/ou de son parent.


Guide pratique pour l’intervenant

La disposition des supports dans la farde reprend trois grands axes inspirés de la phrase centrale de la sociologie clinique L’individu est le produit d’une histoire dont il cherche à devenir le sujet (8). Un premier axe propose un travail sur les racines et les origines, un second vise à s’ancrer dans le présent et le dernier à se projeter. Nous avons délibérément évité de marquer visuellement ces trois temps passé/présent/futur afin de favoriser une élaboration singulière non induite chronologiquement et favoriser un travail d’historicité qui se construira au gré des supports travaillés. En toute logique, le premier support à travailler est Ce carnet appartient à… 

Ce carnet appartient à …

Magazines, colle, ciseaux, auto-collants, gommettes, feuilles blanches et de couleur, feutres, gomme, typex, etc.

Ce support répond à la question Qui es-tu? L’objectif est de se présenter tel qu’on se ressent ou s’imagine avec sa propre ex- pression artistique. Le collage permet d’assembler différents éléments. L’intervenant favorise l’expression de cette créativité et l’ouverture à des identités multiples liées au genre, à la place occupée dans la famille, aux activités professionnelles et de loisirs. Décliner son identité, c’est aussi donner son prénom et son nom. En l’énonçant, on se situe socialement, géographiquement, culturellement, etc. Le nom propre, le patronyme, marque le rapport aux ancêtres. Le prénom est plus sujet à des choix conscients et inconscients. Il rappelle un grand-père, une marraine, une amitié ou est lié à la religion, au sport, au cinéma. L’intervenant veille à soutenir et encourager le jeune et/ou le parent dans cette re- cherche des identités. Il est important que le jeune comme l’adulte s’approprient, par la réalisation de ce premier support, le carnet. Le jeune et l’adulte peuvent donner un titre à leur oeuvre et formuler des liens entre le titre donné et la représentation qu’ils ont faite d’eux. La question « Qu’observez-vous ? » invite à partager sur le décalage éventuel entre « Qui on est » et la représentation qui en est faite.

Retour d’expérience

La perception de soi, d’autrui et de la cohérence du monde peut être endommagée par des événements traumatiques. Le fait d’avoir vécu dans un pays en conflit risque d’altérer l’image que l’on a de soi. L’intervenant veillera à ce que l’adulte ne s’attarde pas uniquement sur des éléments négatifs lors de la réalisation du support. Ce fut le cas pour ce père de famille, qui pour avoir demandé à sa femme et ses filles de le suivre en Syrie, s’identifie au mauvais élément. Au retour, un sentiment de culpabilité fait surface et engendre un sentiment d’auto exclusion face aux siens ainsi qu’une très mauvaise image de lui-même et un sentiment d’échec: »J’ai tout raté dans ma vie ». Pour le jeune, une transmission négative de l’image parentale peut-être confrontante voire traumatisante, surtout si le jeune a vécu aux côtés de son parent dans le pays en conflit. Selon Elisabetta Dozio (9), dans un contexte de violences collectives, les parents sont bien souvent affaiblis dans leurs capacités à être des protecteurs. Ils sont atteints dans leur identité aussi bien individuelle que collective et peuvent ainsi devenir une source de traumatisme ultérieur pour le jeune. De par cette négativité du parent, le jeune se sent exclu voir isolé de la communauté humaine. Il pourrait perdre ainsi toute confiance en ce qui lui donnait sens et qui fondait la base de sa construction identitaire. Le risque est que le jeune s’identifie par la violence, le non sens ou encore l’exclusion. Un autre serait de s’identifier à son parent et d’endosser la part négative. Dans certains cas, il se peut que ce soit le jeune qui éprouve un sentiment de culpabilité face à son parent notamment du fait qu’il ne puisse pas répondre à ses attentes. À l’image de cet enfant de 8 ans: « Si mon papa est en prison, c’est de ma faute. J’ai crié très fort quand les policiers sont arrivés et ils ont emmené mon papa à cause de ça. Je me sens triste et nul. Je ne le reverrai plus jamais à cause de ma bêtise ».

Ce qui nous lie

Crayons, marqueurs, gomme, typex, prévoir des feuilles A3 ou A4, etc.

Le dessin est un moyen pour parler du lien qui unit le jeune et son parent et donne à voir l’aptitude à symboliser. Ce geste graphique préexistant au langage intellectuel est un langage sans parole. Par ses tracés, le dessinateur nous dit qui il est, nous parle de ses expériences vécues, de ce qu’il veut, de ce qu’il pense. Chaque enfant a son style de dessins, reflétant la structure profonde de sa personnalité. S’intéresser à ses dessins permet de se faire une idée de la manière dont un enfant est en relation avec lui-même et avec le monde qui l’entoure (10). Une enfant de 10 ans conclut le travail par ces mots: « On s’exprimait en dessinant, c’était sans devoir parler mais en dessinant on pensait. C’est chouette car on fait ce qu’on veut, c’était bien de faire un truc créatif, c’était intéressant ». Les places occupées dans le dessin et l’espace pris sur la feuille permettront d’observer comment le jeune et/ou l’adulte se représentent l’un pour l’autre. Un grand-père fera part de sa difficulté à se situer: « Je suis quoi moi? Famille d’accueil? Grand- père? Tuteur? Je vois mon enfant petit en lui. Ma fonction est père. C’est pas évident ». La forme des corps, la distance qui les sépare, la présence ou l’absence de liens sécurisants, l’environnement de la relation seront autant d’indicateurs qui permettront de comprendre le lien qui les unit.

Retour d’expérience

Lorsque nous parlons des liens généalogiques, l’histoire familiale sur plusieurs générations peut refaire surface, le discours religieux aussi. Un père incarcéré pour radicalisme violent nous dit: « Ma priorité, c’est qu’il connaisse leur père. Nous, on veut pratiquer notre Islam mais si on part pour le faire, c’est illégal. C‘est contradictoire. Faut qu‘on m‘explique pourquoi les femmes peuvent être nues et que d‘autres ne peuvent pas être voilées. On n‘est pas en rupture de la société mais pour comprendre le présent, faut retourner au passé. Notre exemple, c‘est le Prophète ». Sa filiation se fond dans un entrelacement d’idéologie, de traditions et de religion. Face à ce discours, l’invitation serait de le questionner sur le pourquoi il est si important que ses enfants sachent qui est leur père, que signifie pour lui être père mais aussi pourquoi il est important pour lui de préserver cette place. Une mise au travail de ce qu’il souhaite transmettre ou de ce qui lui a été transmis devrait nourrir et ouvrir les échanges y compris en ce qui concerne la transmission de l’islam comme identité familiale et la question de l’injustice sociale envers les femmes désirant se vêtir, etc.

La page verso du support permet de mettre des mots sur ce qu’ils n’ont pas su dessiner. La proposition de décrire les qualités de l’autre peut faire office d’une mise en commun entre le jeune et l’adulte et ainsi permettre à chacun d’amorcer un échange sur ce qu’ils n’ont pas toujours su ou pu se dire. Dans le cas ou l’adulte n’est pas le parent biologique de l’enfant, ce support permet de distinguer plus clairement le rôle ou la fonction auprès de l’autre et ainsi rassurer l’enfant ou l’adulte face à ses questionnements. Marie, ex engagée dans l’idéologie djihadiste, fait le point sur ses relations parentales: « Ma maman est belge et mon papa est originaire du Proche-Orient, une communauté minoritaire. Je n’ai pas grandi avec mon père, je n’ai rien connu de sa culture. Mon père, je dirais qu’il m’a mise dans une communauté. Grâce à lui mes origines sont des plus anciennes et ça, j’en suis très fière. J’ai grandi avec ma mère et mes frères. Avec maman, on n’a jamais manqué de rien, elle a su se débrouiller. Et c’est ça que j’aime bien chez ma mère, c’est qu’elle se bat quand même pour nous ». Kenza, adolescente commente son support. Elle a participé à un groupe d’implication et de recherche en sociologie clinique destiné aux fratries: « On est une famille qui aime bien rigoler, ouverte, on s’intéresse aux autres. Mon papa d’ailleurs il est très drôle, j’ai inventé un mot pour parler de lui, je l’appelle le grimaceur. Moi, je suis pas une fille qui fait semblant. Je dis les choses cash. J’ai pas peur de dire tout ce que je pense. Je tiens un peu ça de ma mère. C’est à elle que je ressemble le plus car elle parle beaucoup et je parle beaucoup. A l’école, je suis toujours contente quand il faut faire des projets ».

Polaroïd

Consignes de préparation du support à donner en amont de la rencontre; pouvoir imprimer des photographies au départ de portable, photocopies, ciseaux, colle, gomme, typex. Vérifier à ce que le format de la photo ne chevauche pas les consignes.

L’objectif est d’inviter le jeune comme l’adulte à prendre le temps d’aller farfouiller dans les albums de famille et d’y trouver la photo qui correspond à l’image qu’ils se font d’eux. Cette partie du travail risque d’être amputée d’une partie de sa richesse avec le parent détenu qui ne pourra pas s’adonner de la même manière à la recherche d’images. Il le fera au mieux sur base de photos qui auront été préalablement sélectionnées pour lui. L’intervenant en tiendra compte et doit avoir pleinement conscience de la différence des deux démarches. Lorsqu’une photo récente du proche est aussi identifiée, il est intéressant d’observer les différences entre les deux représentations. En effet, la première photographie est parfois bien différente de celle actuelle aussi bien en terme de critères physiques qu’au niveau de la personnalité qui s’en dégage. Un père incarcéré pour radicalisation violente: « C’est mon fils sur la photo que vous me montrez? C’est marrant on dirait son frère. En même temps, je n’ai pas pu grandir à ses côtés… Maintenant, c’est comme s’il était un peu avec moi, je vais garder cette photo de ce grand garçon ». Nous avons aussi observé qu’une sorte d’idéalité peut enrober l’absent. Il s’agit, pour les familles qui ont été séparées, de se préparer à ces changements pour prévenir l’impact des illusions liées aux souvenirs passés. Un père au sujet de son fils en Syrie: « C‘était un garçon doux. On ne comprend pas. Sur cette photo, c‘est juste avant de partir. Il avait 26 ans et regardez là, quand il était petit. On dirait un ange (sur iPhone) ».

 Retour d’expérience

Ce support est particulièrement pertinent pour les jeunes dont la séparation est liée à l’incarcération de leur parent ou pour les familles dont un proche est en terre de conflits. Une jeune de 15 ans dont le frère est parti en Syrie: « Avec lui, j’étais heureuse. Il était protecteur. C’était mon confident. La famille poursuit son chemin et moi, je reste sur place. On se sent perdue, seule, différente des autres. Tout demande un effort, on mange différemment, on ne se concentre plus à l’école, on se replie sur soi. Les autres ont l’air d’aller bien et on continue à pleurer. J’étais en mode dépression, je voulais le rejoindre, être avec lui… ». Lors d’une incarcération, le jeune voit son parent de manière ponctuelle et la vision de se dernier peut totalement différer de la réalité. Celle-ci peut aussi varier au fil du temps en fonction de la temporalité des visites. Lors d’un transfert du parent incarcéré dans une autre prison, les visites peuvent être plus espacées. Dans ce laps de temps, le jeune et le parent peuvent changer, y compris physiquement. Nabila lors de l’arrestation de son enfant: « Je ne reconnais pas la personne qui est censée être mon fils car physiquement il a changé en moins de 24h. Il avait des longs cheveux lisses qu’il a rasés, le visage noirci de colère, de peur et de haine. Tout ce que j’entendais qui sortait de sa bouche pour moi, c’était devenu un inconnu. J’étais soulagée qu’il n’ait pas été libéré car je ne savais pas ce que je devais faire face à ça ! » Comment faire face à cette rupture d’identification, pouvoir se réclamer d’une même appartenance, d’une même origine, d’un même socle? Quand Nabila dit qu’elle ne lui pardonnera jamais et qu’ensuite, elle s’en veut, elle pointe la contradiction dans laquelle cette rupture biographique la plonge. Elle ne se reconnait plus dans son enfant et pourtant un lien indéfectible l’unit à lui. Si la personne est décédée et qu’aucune photo actuelle n’est disponible ou s’il est préférable de ne pas y recourir, la proposition de dessiner son proche est bienvenue afin de ne pas laisser le cadre du Polaroïd vide. Si la seule photographie récente est une image menaçante en provenance des réseaux sociaux sur les terres du présumé califat, mieux vaut demander au jeune ou au parent de dessiner son proche comme il l’imagine à présent.

Mon cercle familial

Crayons, marqueurs, gomme, typex, etc.

Ce support s’inspire du Family System Test (outil utilisé avec les familles) où le jeune se représente et se place parmi ses parents, ses frères et sœurs, ses grands-parents, ses oncles/tantes, cousins, etc. Il est important de différencier par le jeu des couleurs chaque membre et de les légender comme le suggère le graphisme du support. Ainsi, le jeune et l’adulte pourront revenir sur leur représentation dans le temps et s’y retrouver. Au fil du temps, les relations de proximité et les liens de cohésion peuvent changer entre les membres d’une même famille. Il n’est pas rare dans les récits d’anciens du groupe État islamique qu’un chaton ait fait office de soutien affectif. Les animaux sont les bienvenus. De même la notion de frères et soeurs s‘est étendue sous le califat à l’ensemble de ceux qui partageait la même idéologie. Les différentes réalités que recouvrent ces termes existent d’ailleurs dans bien d’autres cultures, en dehors de cette idéologie parti- culière. Dans un premier temps, le jeune ou le parent se situe en marquant sa place à l’aide d’un rond ou d’un carré ou se dessine parmi les différents cercles représentant sa famille. Le jeune ou/ et l’adulte peuvent représenter autant de membres de leur famille qu’ils le souhaitent ou au contraire s’arrêter au parent ou à la fa- mille nucléaire. Ils peuvent aussi en situer certains à l’extérieur du cercle. La page verso du support permet d’écrire sur ces choix. Ce support peut venir en complément du travail mené sur celui intitulé « Mon arbre ». Ce dernier propose un regard généalogique sur la place occupée par les différents membres et qui font d’eux une famille. Tandis que ce support propose une réalisation ciblée sur son propre regard par rapport à la structure familiale.

Retour d’expérience

Si Ce qui nous lie traite du lien qui les unit, ce support témoigne de la relation qu’entretiennent le jeune et/ou l’adulte avec les différents membres de sa famille. Il permet d’avoir un regard sur les liens de cohésion et de proximité entre les différents membres du cercle familial ainsi qu’une vision de sa structure hiérarchique. Tia, adolescente aux propos radicaux : « Ma mère, elle est belge, je la considère comme belge même si les gens ne sont pas d’accord, moi je m’en fous, ma mère, elle est belge et moi aussi je suis belge. Mon père, il ne veut pas être belge, il n’aime pas la Belgique et je ne vois pas ce qu’il fout encore là, mais bon, il a dit qu’il allait partir, donc j’attends le résultat. J’ai deux frères, deux sœurs et encore un frère et une sœur qui vivent chez mon père. Et ouais, voilà, mes parents sont divorcés. Et j’ai des demi-frères et sœurs, mais je dis que ce sont mes frères et sœurs aussi parce qu’on vit ensemble et parce que pour moi il n’y a pas de différence, et voilà j’ai deux cousines qui vivent chez moi pour le moment ». Le Family System Test est un outil réalisé en trois dimensions. Pour visualiser le rapport hiérarchique entre les membres de la famille, l’inter- venant peut suggérer de représenter les relations familiales avec des bouchons qu’il superposera pour les relations plus importantes. Une jeune femme rentrée de Syrie avec ses deux enfants nous confie que « depuis que nous sommes rentrées et que mon mari est incarcéré, ma maman nous aide beaucoup à la maison avec les enfants. Nous sommes devenues plus proches ces derniers mois, je ne sais pas ce que j’aurais fait sans elle à devoir m’occuper seule de mes enfants ». Pour les plus petits, l’intervenant peut les soutenir en leur demandant de pointer du doigt là où ils souhaitent situer les membres de leur famille par rapport à eux.

 Mon arbre

Crayons, marqueurs, gomme, typex, etc.

L’arbre généalogique permet de comprendre et d’identifier les caractéristiques de la structure familiale et les différentes composantes économiques, sociales, culturelles. Ce sont des informations objectives. À ne pas confondre avec un génogramme qui permet de comprendre l’individu dans la dynamique de son contexte familial actuel dans une approche plus systémique. L’identification des classes sociales des différents individus de l’arbre est un élément déterminant pour comprendre les enjeux du destin social et affectif de chacun: les promotions, les mésalliances, les reproductions, etc. L’identification du fonctionnement de la structure familiale permet de saisir les traditions, les règles, les habitus et la façon dont ces différents éléments marquent les choix personnels, professionnels, affectifs, idéologiques de chacun. Il est important que le jeune et l’adulte notent le nom, le prénom, la profession, les lieux de vie, etc. des personnes présentes dans l’arbre. Ce support permet aussi de mettre à jour le roman familial c’est-à-dire les différences entre les données objectives de l’arbre et la narration que le sujet en fait. Ce support réalisé sur base des seuls souvenirs du jeune et/ou de l’adulte favorise une meilleure compréhension de son identité personnelle et familiale car il donne à chacun une place déterminée. L’arbre, c’est l’héritage que chacun reçoit et qui conditionne l’insertion sociale.

Cette construction donnera bien souvent la parole au sujet et l’envie de poursuivre et d’élargir l’exploration familiale. Nous avons laissé la place libre en haut de page pour aller à la rencontre de ses ancêtres. Cet arbre n’a pas un caractère malléable. Il ne permet pas de s‘ouvrir à d’autres formes possibles de filiation : parents affectifs ou biologiques, avoir plus de quatre grands parents, fratries hybrides, etc. Tel que illustré, il donne une représentation très classique de la famille. Or, les familles que nous rencontrons s’écartent très sou- vent de ce schéma. La difficulté de faire coller la réalité à ce modèle pourrait mettre certaines personnes dans l’embarras, les confronter aussi au fait que leur famille n’est pas « normale ». Nous vous invitons, pour une version plus subjective du rapport à la famille, à vous tourner vers le support « Mon cercle familial ». Si le jeune ou l’adulte s’investissent dans ce support, le travail peut être poursuivi sur une feuille A3 à glisser dans une farde chemise du carnet. Le travail du support peut aussi aboutir à la réflexion: Qu’est ce que je veux transmettre? Pour les plus jeunes, des photos peuvent être utilisées afin de mieux visualiser chaque membre de la famille au moment de les positionner dans l’arbre.

Retour d’expérience

Nabila,une mère confrontée à l’engagement de son enfant: « C’est ça qu’on n’a pas assez travaillé avec nos enfants, la transmission. Nos parents ne l’ont pas fait avec nous et nous n’arrivons pas à le faire avec nos enfants ». Pour Edith Goldbeter-Merinfeld (11), il est important que l’intervenant fasse la différence entre la trans- mission intergénérationnelle qui intervient entre les individus d’une même lignée de manière plus directe (les rites familiaux, les manières de parler, le contact entre les uns et les autres) et la transmission transgénérationnelle qui passe à travers les générations, de manière plus indirecte, par des récits, des souvenirs rapportés notamment en cas de traumatismes vécus et non surmontés. L’auteure poursuit: « Le traumatisme provoqué ne se limite pas à s’inscrire dans le moment présent. Bien sou- vent, ses effets se transmettent à travers plusieurs générations. Ce sont des traces de vécus appartenant aux générations antérieurs qui viennent s’installer dans la relation enfant-parent. Cette transmission fait intervenir le négatif, le non résolu, le toxique et ce qui est difficile à être retenu ou gardé en mémoire. Des émotions et ressentis peuvent persister et se transmettre de génération en génération ». Un père incarcéré pour radicalisme violent commente: « Nous, on a vu que nos parents ont subi l’injustice. C‘est resté dans notre cœur. C‘est un peu ferme ta gueule parce que t‘es chez nous ». Pour travailler sur les émotions et mettre des mots sur ces dernières, ne pas hésitez à recourir à la page sur les émotions de l’Album. Elles pourront aider le jeune et l’adulte à identifier chaque émotion ressentie au fil des générations et les caractéristiques communes qui se transmettent.

Parcours de vie et lieux habités

Une carte du monde, crayons, marqueurs, auto-collants/images d’habitats, des feuilles blanches, gommes, typex, etc.

Pour ce support, il est important que l’intervenant soit en possession d’une carte du monde et qu’il se soit familiarisé avec les régions d’où proviennent ces interlocuteurs. Sarah, de re- tour de Syrie, détaille sa trajectoire spatiale. « On s’est mariés en 2013. Il est d’origine marocaine et il avait ce respect de ma culture qui est autre. Mon mari qui cherchait un emploi a décroché une bourse pour étudier la religion à l’Université dans un pays du Golfe. J’ai démissionné pour l’accompagner et étudier l’arabe dans une école pour les épouses. Pourquoi ne pas partir et faire quelque chose d’autre? En juin 2014, nous sommes revenus pour les vacances d’été auprès de nos familles auxquelles nous sommes très attachés. Mon mari lui, il était sous l’influence de son ami avec qui il visionnait des vidéos de Daesh. La Syrie, c’est vendu comme un voyage. On est partis pour faire de l’humanitaire ». Le lieu de vie regroupe ses habitants, la famille nucléaire. Il est le lieu où se vivent les moments communs qui constituent une histoire, le lieu où se tissent les liens familiaux basés sur le lignage, certes, mais aussi sur le partage d’une vie commune entre parents et enfants et entre frères et sœurs. Selon Jean-Louis Le Run (12), la maison est un cadre, un théâtre, une scène du quotidien; le lieu du psychodrame familial et parental. Le dessin de son lieu de vie – à effectuer si nécessaire sur une feuille volante – va laisser place à une dimension imaginaire mais aussi à une dimension symbolique, identitaire. Elle détermine sa dimension sociologique et narcissique car l’enfant et l’adulte peuvent être fiers ou honteux de où ils ont habités, tout en y étant attaché. Le des- sin est à interpréter en fonction des mots et associations qui les accompagnent dans une dynamique donnée autant par le contexte que par les dires énoncés lors de la réalisation du support. L’enfant comme l’adulte peuvent s’ils le souhaitent représenter de manière chronologique les lieux de vie qu’ils ont occupés.

Retour d’expérience

Lors de la réalisation de cette planche, le jeune pourrait pointer un territoire de conflits ou un des camps en Syrie. Dans ce cas, l’intervenant peut les aider a identifier précisément le lieu ou il a vécu, les personnes avec qui il se trouvait ainsi que les conditions de vie dans lesquelles il a vécu et grandi. Il est important de réassurer le jeune et l’adulte sur le caractère confidentiel du travail et de marquer la distance entre le travail indispensable mais différent mené par la justice. Dans le cas d’un post-traumatisme, l’adulte peut également ne pas se souvenir de son lieu de vie. À l’image de Sarah qui se rappelle à peine ses quelques semaines en Syrie: « À notre arrivée en Syrie, nous avons été immédiatement séparés, directement on m’a dit de cacher mon visage. Ça, c’était vraiment le premier signe de violence. Même mon mari ne s’attendait pas à cela. Nos passeports et téléphones ont été confisqués. J’ai été placée dans une maison pour femmes. On n’avait pas beaucoup à manger, parfois il n’y avait même pas d’eau. Il y avait des excréments, les serviettes hygiéniques sont taboues, et y avait une épidémie. Il fait froid en octobre. On dormait à même le sol. Je n’arrive pas à comprendre comment j’ai pu supporter tout ça. À mon retour, il y a un traumatisme qui s’est installé ». L’intervenant peut orienter le jeune ou l’adulte par des questions ou en montrant les pictogrammes ou des photos de différents lieux tout en respectant les défenses mises en place par la personne pour border le traumatisme. Tous les lieux de vie ne se trouvent pas dans les images symbolisées présentées sur la planche. L’intervenant peut alors lui même proposer des lieux supplémentaires au jeune ou à l’adulte comme la prison ou l’hôpital.

Ma ligne de vie

Crayons, marqueurs, gomme, typex, etc.

La ligne de vie permet d‘identifier des moments qui ont été importants (négatifs ou positifs) dans la vie du jeune et de l‘adulte. Ces éléments de vie peuvent concerner les origines (famille, lieux, objets, animaux, etc.), le parcours socio-professionnel (études, emploi, choix de vie, etc.) ou encore des moments clés dans l’existence (naissance, rencontre marquante, deuil, épreuve, etc.). L’objectif du support est de réfléchir à ce que le jeune et/ou l’adulte veulent protéger du passé et garder du présent. La ligne de vie favorise la mise en récit. Toute personne a une histoire. Pouvoir donner du sens à celle-ci est fondamental pour grandir en tant que personne, prendre conscience de sa singularité et acquérir confiance en soi. Daliha, ex jeune radicale non violente: « Mon histoire, elle est hyper épisodique donc ça donne vraiment l‘impression d‘avoir une série Netflix avec des saisons. Ici en l‘occurrence la saison 14. Je suis une jeune, pas forcément difficile à l‘école, je suis plutôt la meuf invisible qui est là parmi les autres, pas for- cément la fille à problèmes ou qui va causer des problèmes ou se faire remarquer ». En réalisant ce support, le jeune et l’adulte se (re)lient avec des personnes, des lieux, des souvenirs auxquels ils tiennent. Le support est conçu pour permettre au jeune et à l’adulte de s’inscrire dans un continuum de vie tout en leur permettant de taire certains événements. Libre au jeune et à l’adulte d’ajouter des dates en dehors des bulles existantes sur la ligne de vie proposée. Pour Vincent de Gaulejac, si on ne peut pas changer le passé, on peut changer le regard que l’on porte sur celui-ci. Re- venir vers ces éléments biographiques peut être douloureux car les émotions qui y sont associées sont parfois toujours actives. Il conviendra à l’intervenant de faire preuve de vigilance. L’intervenant peut suggérer de mettre au travail les émotions éprouvées lors de la séance de travail ou celles liées à la famille lors d’une séance ultérieure avec notamment le support « La ribambelle ».

Retour d’expérience

La mise en commun des moments importants de leur histoire de vie peut participer à la construction identitaire de chacun et attester de leur singularité. Elle permet aussi de voir si les moments choisis sont similaires ou différents et favoriser l’échange et l’écoute autour d’événements émotionnellement chargés. Lors de cette mise en commun, des événements douloureux ou encore empreints d‘idéologies peuvent ressurgir. Un père incarcéré pour radicalisme violent: « Je suis parti en 2013 en Syrie. J’avais un commerce. Je me sentais hypocrite de rester ici, c’est une obligation d’aider. Il faut aider, c’est le principe de base de la religion. J’ai expliqué à mes enfants pourquoi j‘étais parti. Je dois les éduquer dans la foi. En tant que croyant, je dois ». Si ce père fait preuve d’honnêteté vis- à-vis de ses enfants, le fait de ne pas distinguer pratique religieuse et idéologique risque d’entrainer les siens dans des idées peu claires et confuses. L’intervenant doit veiller à ce que le discours de l’adulte soit adapté à l’âge du jeune et recadrer si nécessaire. Nous vient l’exemple d’une mère qui en guise d’explication à son enfant dit: « Il est parti pour défendre ses idées ». Ces phrases qui peuvent paraitre anodines peuvent avoir un impact conséquent sur la construction de l’enfant. Lors d’un travail plus individuel avec l’adulte et le jeune, une manière de procéder pour distinguer le discours religieux du discours radical serait d’utiliser ces trois questionnements au verso de la planche : 1. Que dites-vous à votre enfant/parent ?; 2. Qu’est- ce que vous ne dites pas et que vous voudriez dire ?; 3. Quelles sont pour vous les ressources à mobiliser pour pouvoir lui dire? Ces trois questionnements peuvent aussi s’avérer utiles avec d’autres supports notamment celui intitulé Mes vérités.

Mes vérités

Crayons, marqueurs, gomme, typex, feuille A3 si nécessaire, etc.

Le jeune et l’adulte notent les mots entendus au sujet de leur situation concrète au sein de leur famille, des médias, à l’école, au tribunal, etc. Quelle est la vérité juridique ? Médiatique ? Subjective ? Qu’est-ce que j’entends ? Qu’est-ce que je comprends ? Il s’agit de mettre des mots sur ce qui pose question. L’objectif du support est de différencier, suite à un brainstorming, chaque vérité en les soulignant de différentes couleurs et d‘ensuite s’approprier ses propres vérités dans ce flot de mots. Rappelons encore que les réalités médiatiques ou subjectives du jeune ou de l’adulte ne sont pas forcément celles que l’intervenant a entendu ou perçoit lui-même. Un père incarcéré nous confie: « je suis entre la société et ma fille. L’enfant il est perdu ». Les proches et la personne incarcérée sont confrontés à l’opprobre social. « On a un double travail », dit un autre père incarcéré, « justifier notre pratique religieuse et subir les jugements sur nous. On nous assimile à de l’égorgement, à de la décapitation ». La réputation des proches dans le voisinage, à l’école et dans les institutions est associée au destin du leur qui s’est engagé dans l’idéologie djihadiste. Celui-ci est étalé sur la place publique. Les familles ne peuvent ni le cacher, ni se cacher. Aziz* n’a plus d’autre existence en dehors de cette histoire: « On n’a pas le droit de faire le moindre faux pas parce que si vous faites un faux pas, moi j’ai eu cette expérience-là, les gens vous disent, moi, à votre place, je ferais profil bas en tant que père de… ». Le regard des autres réduit leur existence à cette dimension unique et tragique. Nabila*, mère d’un ex jeune engagé, dit « j’ai l’impression que c’est mon jugement ». Les perquisitions et interrogatoires policiers, les convocations au tribunal entretiennent un climat de suspicion et de dévalorisation qui pèsent sur toute la famille. Pour le parent incarcéré, son rôle dans la transmission est amputé. Un père incarcéré: « On ne va pas dire la vérité aux enfants car on a peur que ce soit mal interprété, qu‘après ils disent des choses à l‘école. Les enfants subissent l‘amalgame de la société ».

Retour d’expérience

Une adolescente dont le papa est incarcéré: « Tout ce que je connais de mon papa c’est qu’il est parti en Syrie pour combattre. Ma famille ne m’a jamais dit la vérité à ce sujet et puis un jour, j’ai reçu un WhatsApp d’une amie m’envoyant un article avec une photo de mon père armé. Plusieurs de mes amis à l’école ont vu cette photo. C’est là que j’ai compris. Depuis lors, je ne veux plus le voir ». Dans ce cas, la souffrance est double car il y a les non- dits de la famille face à la situation du père et la découverte par les amis de cette réalité cachée, surtout à un âge où la re- cherche identitaire est bien présente. Si les familles ont besoin de soutien pour affronter l’ensemble des problèmes rencontrés sur les plans financiers, juridiques, professionnels, sociaux, celles-ci peuvent parfois ne pas être un réconfort comme en témoigne ce père incarcéré: « La maman donne de moi une image négative. Elle ne veut pas qu’ils me voient. Ils entendent que papa les a abandonnés pour partir… Il faudrait que je tombe sur quelqu‘un qui puisse contrecarrer ce que ma femme dit et ce qu’ils entendent dans les médias ». Quels que soient le motif de l’incarcération et la réalité ou non de la culpabilité du justiciable, un passage en prison constitue toujours un choc. C’est un moment où l’individu se retrouve confronté à lui-même et au jugement que la société porte sur lui. Les motifs de terrorisme et de radicalisation violente sont parmi ceux qui pèsent le plus lourd pour un justiciable, que ce soit durant son temps d’incarcération (mesures carcérales spécifiques), ou après, au moment du retour à la vie civile. Rayan*, « La réinsertion, c’est là où j’ai vu le monde tel qu’il est, c’est là que j’ai ouvert les yeux. J’avais des amis et je pensais que ce lien-là resterait à vie alors que non. Quand vous sortez de prison, tout le monde vous tourne le dos ».

Mon jardin secret

Magazines, gommettes, auto-collants, crayons, marqueurs, ciseaux, colle, feuilles supplémentaires, gomme, typex, etc.

L’objectif de ce support est que le jeune et le parent puissent, à la manière dont ils le souhaitent, dévoiler un moment de leur existence qui leur semble difficile à communiquer. Pour exemple, l’incarcération est souvent tue aux jeunes sans que ceux-ci soient vraiment dupes. À l’image de cette fillette de 4 ans qui dit à une intervenante lors d’une visite à son père: « Ne dis pas à mon papa qu’il est en prison, il ne le sait pas. S’il l’apprend, il va être triste ». Ce support est un premier pas pour contrecarrer les effets des mensonges et des non-dits. Dans ce support, l’intervenant pour- rait être perçu comme une objet transitionnel avant que le secret puisse venir se dire au jeune ou au parent. L’exercice n’est pas forcément facile et se fera au rythme de chacun. Il est important que le jeune comme l’adulte se sentent à l’aise pour s’exprimer et qu’ils puissent trouver un média sur lequel s’appuyer pour raconter son récit. Il est nécessaire d’avoir le plus de matériel possible afin de laisser un maximum de liberté à l’expression: gribouiller, effacer, écrire, coller mais aussi recoller, réécrire autant de fois que nécessaire. Il s’agit de déclencher une activité narrative, longue ou brève. Le récit de vie permettra d’intégrer l’expérience douloureuse dans le parcours de vie de la personne narratrice. L’objectif n’est pas non plus le dévoilement à tout prix mais bien de prendre conscience qu’il est possible de communiquer des choses à autrui dont on ne se sentait pas ou plus capable. L’inter- venant sera attentif à ne pas enfermer davantage le secret mais bien à pouvoir l’aider à venir se dire. Le questionnement est indispensable entre l’adulte et le jeune pour ce support (13). L’intervenant peut retourner à l’encart « Petites notes sur le trauma » avant d’aborder ce travail.

Retour d’expérience

L’intervenant veillera à ce que cette consigne soit particulière- ment bien comprise afin de favoriser l’expression d’un élément biographique qui puisse être socialisé. Des éléments biographiques peuvent n’avoir jamais été abordés auparavant dont des événements potentiellement traumatiques ou douloureux. Kenza, adolescente: « Quand il est parti mes parents m’ont dit qu’il étudiait ailleurs, en Tunisie. Personne ne voulait me dire ce qui se passait. Je savais que c’était plus grave. Ils étaient tristes et moi, j‘essayais de continuer à rigoler. Y’a pas un jour où on n’a pas ri. Mais c’était trop difficile pour eux de le dire alors c’est moi qui un jour, j’ai dit que je savais la vérité. Après, c’était plus facile. On ne devait plus se cacher pour pleurer. Ça servait à rien de faire semblant ». De même que pour le support « Ma ligne de vie » séparer le verso en trois partie : – 1. Que dites- vous à votre enfant/parent?; 2. Qu’est-ce que vous ne dites pas et que vous voudriez dire?; 3. Quelles sont pour vous les ressources à mobiliser pour pouvoir lui dire? – pourrait favoriser un dévoilement. Honte, culpabilité, peur s’énoncent comme l’illustrent ces trois témoignages :
Une maman dont l’ainé est en IPPJ (Institutions publiques de protection de la jeunesse): « On a dit aux enfant qu’il était en camp de vacances jusqu’au moment où le petit a dit: « Moi aussi je veux aller en camp de vacances ». Là, on s’est dit qu’il y avait un problème ». Une épouse: « Mon mari a été arrêté en 2014. Il est parti faire la guerre. Ma fille de 9 ans demande pourquoi un militaire ne peut pas faire la guerre ? Pourquoi est- il en prison s’il fait partie de l’armée? Je lui réponds que je lui expliquerai plus tard. Je ne dis pas djihad. J’ai peur que les enfants répètent ce mot. Je préfère le mot guerre ». Une jeune de 15 ans dont le frère est en Syrie : « Je suis revenue de l’école et j’ai dit à ma mère, tu ne vas pas être contente maman, j’ai écrit que j’avais qu’un frère. J’avais peur. J’avais honte de ce qu’on dit à l’école et dans les médias ». L’intervenant peut également aider l’adulte dans sa narration à l’enfant par le biais de lectures (14). Un papa incarcéré: « Moi, pour expliquer à mon fils de 8 ans que j’étais incarcéré je lui ai envoyé des lettres postales sous forme de bande dessinée. C’était l’histoire d’un petit lion en cage, je dessinais des bulles pour le faire parler: « je voudrais bien sortir de la cage pour aller rejoindre mes enfants lionceaux ». Mon fils à compris où j’étais grâce à mes dessins ».

Ma ribambelle

Feuilles A3, ciseaux, patron d’un petit bonhomme (qui pourrait représenter les enfants) et d‘un grand bonhomme (qui pourrait représenter les adultes), colle, émojis, gommettes avec les émotions de base, crayons, marqueurs, gomme, typex, etc..

La ribambelle des émotions est un support qui permet de représenter les membres de sa famille à l‘aide de bonhommes les uns à la suite des autres, main dans la main. La ribambelle est déjà dessinée dans l’Album au cas où l’environnement ne permettrait pas l’apport de ciseaux comme en milieu carcéral. Dans ce cas, il est conseillé de venir avec une ribambelle prédécoupée dont le patron a été créé lors de la séance précédente. Dans la mesure du possible l’animateur propose au jeune et à l‘adulte de réaliser leur propre ribambelle en leur laissant le soin de placer les petits bonhommes ou les grands là où ils l‘entendent. Une fois la ribambelle découpée, il est important de clarifier qui est représenté sur la ribambelle, Il s’agit ensuite d’indiquer le prénom puis d‘identifier les émotions et les ressentis liés à chaque membre de la famille. Un père incarcéré: « Je pense que mes cinq enfants ressentent beaucoup d’amour pour moi, même si pour certains, ils sont en colère de ne plus pouvoir me voir. Mes plus grands enfants m’en veulent beaucoup. C’est mon ressenti ». À l’intervenant d’identifier si les émotions déposées concernent le passé, le présent ou le futur. Celles-ci peuvent révéler certains événements du passé toujours agissants. Cette ribambelle peut ensuite être glissée dans une farde chemise.

Retour d’expérience

Une jeune dont la soeur est en Syrie: « J’arrive à faire abstraction de ce que ma mère dit. Je me sens impuissante en même temps. Je dois avancer dans ma vie mais c’est difficile quand je sais que ma soeur… Psychologiquement, c’est conflictuel avec nous-même. En même temps, on a des parents dépressifs. Moi, je suis à la base optimiste. C’est difficile de faire quelque chose dans sa vie avec ces idées noires. Je profite de la vie mais je ne la savoure pas. Une goutte d’eau, je me dis oooh, mais il n’y a pas d’eau là-bas. Elle a le sentiment d’être délaissée et c’est un sentiment qu’elle nous transmet. On ne vit pas avec eux mais avec leur histoire. Je n’arrive pas à accepter l’injustice. On ne peut pas se dégager de cette histoire tant que les choses ne sont pas réglées. Je suis habitée par cette histoire qui est la mienne et qui n’est pas la mienne ». L’animateur favorise le partage entre le jeune et le parent afin de comprendre ce que le jeune comme l‘adulte perçoivent des émotions ressenties par autrui. Un travail en parallèle sur la compréhension des émotions de base – joie, colère, tristesse, peur, dégoût, sur- prise, honte, culpabilité – peut être réalisé avec les cartes ou la roue des émotions. Pour les plus petits, l’intervenant peut présenter des gommettes smileys simples afin que l’adulte comme le jeune perçoivent sans trop de difficulté les émotions véhiculées. Une grand-mère dont l’enfant et les petits-enfants sont dans un camp en Syrie: « Pourquoi au fond de nous, on se sent toujours seule et blessée ? Mon enfant ne veut pas aller à l’école. J’ai l’impression qu’il ressent la peine vécue même si je n’ai pas envie de lui transmettre cela. Je voudrais comprendre la culpabilité. J’ai des angoisses pour eux là-bas et ils le ressentent ici. J’ai aussi de la colère parce que j’ai l’impression que personne ne peut comprendre ce que j’endure. Y’a pas de place pour les vacances, pour le rire, pour un homme… On se sent toujours coupable de leur départ ». Il nous est apparu intéressant de réaliser plusieurs ribambelles dans le temps de l’accompagnement car les émotions évoluent. C’est une projection de ses ressentis qui au cours du travail de narration prendra d’autres couleurs. Les personnes décédées sont inclues, si la personne le souhaite, dans la ribambelle. C’est l’émotion qui est à interroger. La question reste identique: Quelles sont les émotions que le défunt éprouvait pour vous? Quelles émotions éprouvez-vous pour lui actuellement? Tout comme le support « Mon cercle familial », la place des uns et des autres dans la ribambelle peut être une source de questionnement. Qui sont ceux qui entourent la personne? Pourquoi celui-ci est-il très loin ou très proche ? A quoi est-ce dû ?

Le cycle du temps

Crayons gris, marqueurs, feutres, gommes, typex, etc.

Ce support offre la possibilité de dessiner un élément du passé, de son présent et du futur et d’observer la place que chaque élément prend sur la feuille. La place occupée pour représenter un objet, un symbole, une personne, un animal ou une émotion servira d’indicateur sur la place que ces trois temporalités occupent dans l’espace psychique de la personne. Notre hypothèse est que les familles sont engluées dans le passé, vivent un présent sous contrainte et se projettent à peine dans un avenir peu serein. « Qu’ai-je fait de ma vie dit une mère effondrée ? Rien du tout, j’ai peur du futur, mon fils est encore là-bas… » L’objectif de ce support est d’inviter le jeune et l’adulte à poser un regard sur leur manière d’appréhender le temps. Éric, ex engagé dans l’idéologie djihadiste : « Plutôt que de partir de l’avant, je restais sur le présent et sur le passé donc je n’avançais pas ». L‘intervenant peut inviter le jeune et l’adulte à trouver un équilibre dans l’espace temps en leur posant des questions sur la place occupée par ces trois dessins mais aussi sur ce qui a été représenté. Pourquoi cet objet? Quel est ton émotion ? À quel souvenir est-elle liée ? Est-elle toujours active dans le présent ? Il peut aussi attirer l’attention sur ce qui a été dessiné en premier lieu et en dernier lieu. La question de l’historicité est au coeur du support. Il s’agit de comprendre, comme le souligne Vincent de Gaulejac, comment l’analyse des enjeux du passé – conflits, ruptures, violences, secrets – peut éclairer le présent et permettre de se projeter dans un avenir qui ne soit pas simple répétition de ces conflits, de ces ruptures et de ce violences. Le travail ne permet pas de changer le passé. En revanche, Il est possible de changer la façon dont cette histoire agit en soi. Si le passé est immuable, le rapport au passé, lui, peut être modifié. Un parallèle peut être établi par après avec le support intitulé « Ligne de vie » pour les éléments passés et avec la planche « Voyage dans le futur » pour les éléments futurs.

Retour d’expérience

Chacune des mères rencontrées dans le cadre du projet « Rien à faire, rien à perdre » a vécu une situation traumatique qui gèle l’inscription dans l’historicité. Faute de pouvoir inscrire l’événement catastrophe dans un récit, les autres membres de la famille sont figés dans l’ici et maintenant. D’autant que le pré- sent est bien souvent envahi par des difficultés innombrables et l’attente de nouvelles qui à priori ne peuvent être que mauvaises (15). Celui qui est parti ou a été tenté par l’idéologie djihadiste ne laisse aucune place pour les autres, aucune possibilité de vivre autre chose. L’enfant envahit tout, la vie quotidienne, les relations aux autres. Il gèle toute la fonction imaginaire, la possibilité de penser un ailleurs, d’imaginer une autre vie, de se projeter dans un avenir meilleur. Lorsque les parents sont coincés dans un passé ou un présent envahis par des difficultés concrètes et psychiques, les jeunes peuvent agir à l’image de leur parent en étant comme paralysé face à des projets d’avenir. À l’image de cet enfant de 5 ans qui parle de la mort: « Alors moi aussi je peux mourir tout de suite, maintenant et pour toujours ? » Bien souvent, ces jeunes sont ceux qui éprouvent des difficultés à garder une âme d’enfant avec des rêves plein la tête et qui éprouvent un grand sentiment de solitude et des inquiétudes face aux problèmes rencontrés par les adultes. « J’ai entendu que maman avait dit que nous ne reverrons plus papa » dit un autre enfant. L’effet dépressif de l’adulte peut se faire ressentir chez le jeune avec la destruction de certaines de ses valeurs telles que la justice ou la vérité. Selon Liliane Daligand (16), à l’image de l’adulte, un passé trop présent ou traumatique pourra conduire l’enfant à une inhibition intellectuelle, un détachement affectif ou encore une restriction des intérêts ou des relations pour l’avenir. C’est pourquoi, envisager l’avenir de l’enfant avec ses propres yeux et ceux de son parent est important afin de leur montrer que rien n’est figé et que tout est possible.

Voyage dans le futur

Magazines en tout genre (pas un style spécifique), ciseaux, colle, crayons, marqueurs, gomme, typex, etc.

L’objectif est que le jeune et l‘adulte se représentent mutuellement dans un futur proche ou lointain grâce à un collage. Le collage permet à la fois d‘être créatif mais reflète également l‘état d‘âme de la personne, là où elle se cherche, ses désirs cachés, ses difficultés relationnelles, etc. La technique du collage permet d’approfondir la découverte de soi et d‘aller plus loin dans son histoire. Se projeter dans le futur invite le jeune comme son parent à quitter un modèle tout tracé, un cadre restrictif et oser l’aventure, l’insolite. Il s’agit de quitter l’expérience du vécu et de le mettre à distance pour oser aller à la rencontre de l’avenir. Pour rester dans la projection mutuelle d’un futur proche ou lointain, cette consigne peut être adaptée en demandant à l’enfant: Comment imagines-tu ton parent dans le futur? et à l‘adulte com- ment il imagine son propre futur. Pour un enfant dont le parent est incarcéré par exemple, cela a du sens de pouvoir imaginer son parent dans une perspective future. Au terme de cette activité, l’intervenant invite le jeune et son parent à avoir un regard plus réflexif sur ce projet: « Qu’est-ce qui attire dans ce voyage vers le futur? Comment inscrire ce projet de manière plus réa- liste dans votre histoire? » Le fait de se projeter ensemble dans le futur par le partage des supports peut être rassurant et valorisant pour l’adulte comme pour le jeune. Cependant Elizabetta Dozio (17) attire l’attention sur le fait que « les parents traumatisés ont souvent des représentations négatives de leur enfant tant celles-ci sont empreintes du souvenir traumatisant de leur passé. Les représentations parentales déformées à propos de l’enfant peuvent engendrer chez lui des comportements effrayants. En effet, l’enfant peut répondre à cela de manière désorganisée, notamment par des émotions ou des perceptions altérées ».

Retour d’expérience

Comme il s’agit de se projeter, ce support peut susciter une vision négative de la part de l’adulte et du jeune. Aziz, un père confronté à l’idéologie de son fils décédé: « Ma petite-fille doit avoir un an et quelques et j’ai envie d’aller la chercher (camps syriens). Je la trouverai, c’est ma petite-fille quand même, c’est un lien de sang important et puis elle est innocente la pauvre, je ne sais pas si elle mange à sa faim, je ne sais pas comment elle vit, je ne sais pas comment elle dort, j’y pense souvent… » Éric ex engagé dans l’idéologie: « Mon avenir, je le vois avec des études, beaucoup d’années d’étude. Je ne vois pas ces années comme de la souffrance. Je vois ça comme de la passion puisque c’est ce que je veux faire. Ça, c’est mon regard que j’ai vis-à-vis de moi mais le pire, c’est le regard que les gens ont… ça c’est vraiment un regard pas facile à… je pense qu’il y aura toujours un point de méfiance que les gens auront vis-à-vis de moi, je pense que ça ne sera jamais comme c’était avant ». Il est important pour l’intervenant de souligner les aspects positifs de ce voyage vers le futur étant donné qu’il concerne l’avenir. À l’image de Marie ex engagée dans l’idéologie: « Si je partais là-bas, c’était pour être martyre, pour être au plus haut degré auprès de Dieu. Aujourd’hui, je me dis que j’ai envie d’avoir un foyer, de voyager, de découvrir le monde, me marier, avoir des enfants, ma famille auprès de moi, un travail et d’aller loin dans ce que j’aime aussi et de vivre quoi… et surtout d’être libre, pas qu’on m’impose des choix, des idées… d’être libre euh dans ce que je dois penser et faire et dans ce que je veux. Juste penser par soi-même, juste ça ».

Laisse ton empreinte

Magazines en tout genre (pas un style spécifique), ciseaux, colle, crayons, marqueurs, gomme, typex, etc.

Ce support clôture l’Album. Il est un espace où laisser la trace d’un accompagnement et son empreinte. L’empreinte de son histoire, celle à démêler, qui nous détermine et qui par un travail sur l’historicité permet au sujet d’advenir. Celle aussi qui mène à construire une humanité partagée. L’intervenant peut par ces questionnements faciliter cette activité réflexive: « Quels sont vos sentiments ? Émotions ? Que gardez-vous comme impression ? Y a-t-il des choses qui se sont réveillées en vous ? Quels liens avez- vous fait? Qu’avez-vous découvert? Appris? Qu’est-ce qui vous a le plus marqué? Que souhaiteriez-vous changer? Comment? »

Les émotions de base

Cette page amovible sur les émotions n’est pas un support à proprement parler. Elle est à la disposition de l’intervenant pour accompagner le jeune et l’adulte à identifier l’émotion ressentie à l’évocation d’un souvenir, d’une personne, d’un lieu, d’un objet ou dans l’ici et maintenant de la réalisation du support..

  1. Le projet « Rien à faire, rien à perdre » est gratuit sur demande : extremismes-violents@cfwb.be
  2. Trois capsules vidéo et un dossier pédagogique sur le phénomène dit de polarisation sont accessibles gratuitement sur simple demande.
  3. Gerrit Loots, Hannan Jamai, Bart Conix, Lydia Van Kesteren « Rapport : visite aux enfants belges dans les camps de réfugiés kurdes dans le nord-est de la Syrie », Juin 2019.
  4. Marie Rose Moro „D’où viennent ces enfants si étranges? Logiques de l’exposition dans la psychopathologie des enfants de migrants“, Nouvelle Revue d’Etnopsychiatrie, N°12, pp. 69-84, 1988.
  5. Vicky Vanborre : Les ressources relationnelles, un moteur de vie. « Rhizome: Soigner le traumatisme? » Décembre 2018.
  6. De Villers Bénédicte, Seret Isabelle, (2019), « Victimologie », in Vandevelde-Rougale Agnès & Fugier Pascal (dir.), Dictionnaire de sociologie clinique, Toulouse, Érès.
  7. Dozio Elisabetta, 2020, « Mères et bébés dans la guerre: comment ne pas transmettre le traumatisme aux enfants », Édition in Press.
  8. Gaulejac de, V. (1999), L’histoire en héritage, Paris, Payot, 2012.
  9. Dozio Elisabetta, 2020, « Mères et bébés dans la guerre: comment ne pas transmettre le traumatisme aux enfants », Édition in Press.
  10. Diane Drory « Pour écouter un enfant, entendons ses dessins“. Carnet de notes sur les maltraitances infantiles 2018/1 n°7, p 48 à 58.
  11. Edith Goldbeter – Merinfeld, « Générations et transmissions, Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux » N°38, 2007.
  12. Jean-Louis Le Run, « L’enfant et l’espace de la maison », Enfances & Psy 2006/4 (n°33).
  13. Serge Tisseron. « Les secrets de famille, comment en parler ? » Yapaka.
  14. Emmanuelle Lamberts, Cécile Walot, Thomas Gaudin « Dis c’est quoi la prison ? » (petit ours) FWB, 2015-2017.
  15. Gaulejac de, V. Seret, I, (2018), „Mon enfant se radicalise. des familles de djiadhistes et des jeunes
    témoignent“, Paris, Odile Jacob.
  16. Liliane Daligand. « Le psychotrauma de l’enfant, Stress et Trauma 200 », 224-227.
  17. Dozio Elisabetta, 2020, « Mères et bébés dans la guerre: comment ne pas transmettre le traumatisme aux enfants », Édition in Press.